La soyeuse fibre d’asclépiade se cache dans la gousse de la plante.
Extrait de l'article de Marie Tison, publié dans La Presse le 8 novembre 2021
On attendait beaucoup de l’asclépiade, une fibre superbement isolante, légère et hydrophobe. On a bien vu la société québécoise Quartz Co. offrir des manteaux de ville haut de gamme. Et puis, plus rien. Les entreprises impliquées dans la production de cet isolant ont abandonné la partie ou ont carrément fait faillite, et l’asclépiade a disparu des écrans radars.
Mais voilà que de petites entreprises ont discrètement repris le flambeau et concoctent des vêtements qui pourraient plaire aux amateurs de plein air. Lasclay mise sur des mitaines rembourrées à l’asclépiade pure alors qu’Atypic Equipment termine la conception de manteaux et de vestes isolés avec un mélange d’asclépiade, de kapok et de PLA (acide polylactique), un bioplastique synthétisé à partir d’amidon de maïs.
« Durant mon bac, l’entrepreneuriat m’attirait beaucoup, raconte le fondateur d’Atypic, Antoine Bolduc. Un jour, j’ai découvert l’asclépiade, son histoire avec Chlorophylle, Quartz et d’autres acteurs du milieu. J’ai vu son potentiel dans le domaine du plein air. Moi-même, j’adore la nature, surtout celle du Québec. Je voulais pouvoir utiliser l’asclépiade dans mes propres activités. »
De mauvaise herbe à trésor
L’asclépiade est une plante qu’on a longtemps considérée comme une mauvaise herbe. Toutefois, il y a quelques années, on a réalisé que les fibres soyeuses qui se trouvent dans sa gousse ont des propriétés isolantes et hydrophobes. Une petite filière s’est mise en place pour commercialiser ce produit. Mais voilà, l’entreprise au centre de ce mouvement, Protec-Style, a fait faillite en 2017 et la filière s’est désagrégée.
« En partie, c’est dû au fait que c’est parti trop grand : on se voyait déjà comme le nouveau Gore-Tex, indique Gabriel Gouveia, cofondateur de Lasclay. C’était une approche très louable, mais nous avons une approche différente : nous partons petit. »
Lasclay a ainsi choisi un produit très simple, relativement peu coûteux : la mitaine. « Au Québec, il y a beaucoup de monde qui a froid aux mains et qui est prêt à payer un certain prix pour ne plus avoir froid, affirme M. Gouveia. Pour nous, c’est l’occasion de faire connaître au plus de gens possible les bienfaits de l’asclépiade et d’en faire des mordus. »
Comme il s’agit d’un produit de petite taille, il est possible de faire une production « assez conséquente » dans un petit atelier, situé dans le quartier Limoilou.
Lasclay se différencie d’une autre manière. Les premiers utilisateurs d’asclépiade avaient choisi d’intégrer l’asclépiade dans une sorte de membrane. « C’est la façon de faire traditionnelle dans le textile, explique M. Gouveia. Le problème, c’est que ça demande de diluer l’asclépiade, de la mélanger à autre chose. L’autre problème, c’est que lorsqu’on coupe des formes irrégulières, comme des ronds de mitaines, on a jusqu’à 30 % de perte. Ce n'est pas acceptable pour une matière encore aussi rare et coûteuse »
Lasclay a donc décidé de rembourrer directement ses mitaines avec de l’asclépiade, mais de faire quand même un petit matelassage pour que la fibre demeure en place.
Recherche de solutions
Le rembourrage de plus grosses pièces de vêtements serait cependant plus problématique. C’est ainsi que de petites entreprises, comme Eko-Terre, encore extrêmement discrète sur ses plans, et Atypic ont choisi la technique de la membrane.
Pour Antoine Bolduc, le fait d’utiliser trois types de fibres, l’asclépiade, le kapok et le PLA, permet d’améliorer la performance du produit.
Le kapok et l’amidon de maïs ont pratiquement les mêmes propriétés que l’asclépiade, mais ces fibres sont plus faciles à manipuler et moins volatiles. Ça vient souder l’isolant, ça nous permet de faciliter la production et de réduire les coûts.
Malgré toutes ses qualités, l’asclépiade a un grand défaut : sa fragilité. Lors de sa transformation, certaines fibres se brisent et créent une poussière fine qui s’infiltre partout, notamment dans la machinerie. « On peut facilement perdre le contrôle et avoir beaucoup trop de poussière, affirme M. Bolduc. C’est la raison pour laquelle les entreprises ne voulaient plus travailler avec les gens de la filière de l’asclépiade : la poussière faisait en sorte qu’il était impossible de donner de bonnes conditions aux employés. »
L’asclépiade est une fibre très capricieuse, fait-il valoir. « C’est un produit très fragile, il faut le traiter de façon quasi artisanale pour être en mesure de l’utiliser. »
Atypic et Lasclay travaillent chacun de leur côté sur des procédés d’extraction qui permettent de diminuer la poussière.
Lasclay en est maintenant à sa cinquième année de production. L’année dernière, elle a fabriqué 1000 paires de mitaines. Cette année, elle vise de 1500 à 2000 paires. Elle offre ses mitaines en ligne uniquement, notamment pour garder le prix du produit le plus bas possible. En boutique, il faudrait rehausser considérablement ce prix pour tenir compte de la marge de profit du détaillant.
« On essaie de démocratiser l’asclépiade, mais c’est quand même un produit haut de gamme, déclare M. Gouveia. Ce n’est pas tout le monde qui peut se payer une paire de mitaines à 100 $. »
De son côté, Atypic a procédé à un financement par l’entremise de Kickstarter pour lancer les activités. En moins de 24 heures, la petite entreprise a amassé 30 000 $. « Ça a permis de finaliser l’achat de la matière première, de payer les salaires et de lancer la production », s’enthousiasme Antoine Bolduc.
Il espère voir les premiers manteaux faire leur apparition en plein air d’ici la fin de novembre.