Soie d'asclépiade dans une main

Extrait de l'article original de Sophie Poisson, publié dans le Baron Mag en novembre 2020.

 

Démocratiser une plante indigène d’Amérique du Nord, l’asclépiade commune, comme isolant hivernal du futur dans les vêtements de plein air, et le faire en offrant des habitats aux espèces de pollinisateurs menacées comme le papillon monarque, c’est la mission des cofondateurs de Lasclay, Gabriel Gouveia et Philippe Langlois. Chaque hiver depuis 2020, les deux entrepreneurs québécois proposent des mitaines rembourrées de soie d’asclépiade qui est un isolant thermique, imperméable et écoresponsable.

Gabriel détient un baccalauréat en design de produit et Philippe est formé en design graphique. Ils se sont rencontrés lors d'un microprogramme d'été en entrepreneuriat à l'Université Laval, le Startup Fuze, où pendant un mois, ils ont bâti une application permettant au public et aux entreprises de collaborer sur des initiatives environnementales, de même qu'un blogue sur le développement durable et la philosophie végane.

«On a commencé à collaborer en 2016, partageant une vision similaire de l'environnement et de ce qu'on attendait des entreprises, explique Philippe. On s'est dit qu'il n'y avait pas de meilleure manière que de le faire nous-mêmes. Lasclay, c'est pour donner l'exemple, montrer que c'est faisable de créer une entreprise rentable au Québec avec une gamme produit qui valorise une ressource au grand potentiel, cultivée et transformée ici, au Québec, en circuit court.»

Intéressé par les plantes indigènes et avide cueilleur de produits forestiers non ligneux (PFNL) comme les champignons et les épices boréales, c'est grâce à un ami que Gabriel Gouveia s'est intéressé de près à l'asclépiade, en a finalement récolté pour mener des expériences. Ses trouvailles confirment les hypothèses de la littérature scientifique: Prenant la forme d'un tube presque complètement vide, les fibres d'asclépiade liées aux graines emprisonnent l'air et agissent comme un isolant extrêmement performant contre les transferts de chaleur. De plus, ces fibres sont naturellement enduites d'une cire hydrofuge et antibactérienne, ce qui les rend chaudes, sèches et durables. Une rare combinaison dans le monde des isolants d'origine naturelle et végétale.

Cosses d'asclépiade libérant ses soies

Commencer petit

Les cofondateurs estiment que l'industrie de l'asclépiade a été officiellement lancée entre 2011 et 2014, lorsqu'une entreprise de transformation de Granby, Protec-Style, a fondé sa filiale Encore 3 et ouvert une usine de transformation à St-Tite, pour démarrer la production de rouleaux isolants pour les manteaux et de boudins d'absorbants pétroliers, en collaboration avec la Coop Monark, la première coopérative d'agriculteurs et producteurs d'asclépiade fondée par Daniel Allard, de la région de Mékinac en Mauricie. Bien que cette entreprise ait désormais fait faillite, elle a néanmoins ouvert la voie en créant un tissu composite d'asclépiade en rouleau, alternative au synthétique ou au duvet, et permettant aux entrepreneurs de tirer des enseignements.

« Avec nos mitaines, on pense à l'envers de ce qui fait couramment, c'est-à-dire de penser grand tout de suite, de tout développer et de chercher des clients seulement ensuite. Nous pensons grand aussi, mais nous voulons démocratiser l'asclépiade progressivement. Créer des liens avec les cultivateurs et jeter les bases, un peu comme ce que la compagnie Icebreaker a fait. Comme quelqu'un qui achète sa première paire de bas en laine de mérinos, découvre ce matériau, l'apprécie et finit par adopter totalement le mérinos pour d'autres produits plus chers. Après, peut-être la veste, le cache-cou, la combinaison de ski... Des mitaines, c'est plus simple à réaliser qu'un manteau. On peut lancer un premier produit de manière agile, en mode lean startup », s'enthousiasme Philippe Langlois.

Et Gabriel Gouveia d’ajouter: «Commercialement, ça avait du sens. Fabriquer un manteau isolé à l'asclépiade avec la technique actuelle de rembourrage utilisée pour les mitaines, cela serait complexe et coûteux. Pour 800$ à 1000$ par manteau, très peu de gens peuvent se le permettre. Le projet mourrait dans l'œuf Par contre, avec une paire de mitaines, à 40$ pour du synthétique fabriqué en Asie ou environ 90$ pour un produit beaucoup plus responsable fabriqué au Canada... ce n'est pas hors de portée, plus de gens peuvent se laisser tenter.»

Gabriel Gouveia dans un champ d'asclépiade Gabriel Gouveia, fondateur de Lasclay.

 

Il faut entre 30 et 50 grammes de soie d’asclépiade pour fabriquer une paire de mitaines. Pour la doublure et l’extérieur, les entrepreneurs ont choisi d’utiliser du polyester vierge pour le moment.

«Il y a eu une réflexion approfondie. Avec les contraintes des lois sur la durée de vie des produits, pour l'accessibilité, l'abordabilité et la variété des finitions disponibles, le polyester s'est imposé. Puisqu'on opte pour du synthétique, on s'assure qu'il soit recyclable et si possible, recyclé. À l'extérieur, cela crée une enveloppe imperméable, respirante, et résistante et à l'intérieur, le polyester offre un effet polaire confortable... Ça a été un compromis, mais nous nous sommes dits que le plus grand impact bénéfique de notre démarche est la création de champs d'asclépiade, avec toute la biodiversité qu'ils soutiennent, notamment les papillons monarques. Améliorer la durabilité des produits et aider la biodiversité justifiait de faire un choix moins idéal au niveau de la fin de vie et du recyclage. Mais nous n'excluons pas d'adopter un modèle comme Nespresso avec les capsules de café, en allant en encore plus loin, pour recycler nous-mêmes nos produits en fin de vie. Nous avons des idées à ce niveau.», explique Gabriel.

Il ajoute que les matières animales comme le cuir et la laine étaient hors de question. Le chanvre, le lin et la viscose, bien que plus écologiques, se sont révélés des matériaux peu adaptés pour des mitaines, mais ont depuis trouvé leur place dans plusieurs produits Lasclay: Le chanvre dans le sac à dos glacière 30L et la viscose dans les cache-cous et les foulards, notamment. À long terme, il envisage l'utilisation de polyester recyclé pour améliorer l'empreinte écologique, mais le polyester disponible au Canada, provenant de la Colombie-Britannique, nécessite des volumes trop importants pour leur entreprise.

Intérêt prononcé

Les premières mitaines conçues par Lasclay ont été conçues à Québec,  l’asclépiade servant à les isoler a été cultivée au Bas-Saint-Laurent et dans Chaudière-Appalaches, le rembourrage et le matelassage se fait dans l'atelier Lasclay du quartier Limoilou, à Québec, avec des machines de matelassage et de coupe automatisées de haute technologie, pour ensuite être assemblées chez une entreprise de la Beauce. 

«Travailler avec des fournisseurs d’ici, ça peut vraiment faciliter la tâche. On est dans le même fuseau horaire, on parle la même langue et les références sont faciles à comprendre. La surprise qu’on a eu, c’est la différence entre la communication écrite et verbale. Parfois, c’est bien de détailler par écrit ce que l’on veut, d’autres fois, c’est bien d’appeler la personne et que tout se règle en 5-10 minutes», témoigne Philippe.

Un défi de fabrication a toutefois été rencontré puisque l’asclépiade est à la fois légère et volatile.

Tige d'asclépiade commune

«À nos débuts, on faisait tout à la main, incluant le rembourrage de l'asclépiade. On s'était dit que ça ne devait pas être si compliqué. Quelle naïveté! Quand on pige dans un sac de soie d’asclépiades, des poussières et fibres fines volent partout et ça se répand partout. Disons que ça met le désordre dans un atelier et tout le monde veut éviter ça, reconnaît Gabriel. C'est d'ailleurs ce qui a amené plusieurs entreprises à faire faillite dans le passé: toute la logistique et les coûts reliés aux défauts de l'asclépiade, qui font parfois oublier ses belles qualités. Avant de lancer une production à plus grande échelle, nous avons dû rapatrier et automatiser plusieurs étapes de production en inventant tout par nous-mêmes, parce que rien n'existe déjà pour l'asclépiade. Personne n'a jamais fait cela. C'est effrayant, mais quand nous trouvons des solutions, c'est très libérateur et ça ouvre de nombreux potentiels. Surmonter ces difficultés a amené Lasclay beaucoup plus loin que je l'avais imaginé», confie Gabriel.

Depuis la parution de l'article original en novembre 2020, l'entreprise a fabriqué des milliers de paire de mitaines et conçu plusieurs nouveaux produits, comme des foulards, des bandeaux, des semelles, des sacs à lunch, un sac à dos glacière, un sac besace isotherme. Plusieurs autres sont en cours de conception, comme des manchons à café et à boissons froides, des pantoufles, des manteaux, des sacs de couchage, des oreillers de camping et même des tapis pour chiens hypoallergènes!


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