Extrait de l'article de Marie-Soleil Brault, paru dans le magazine Le Soleil Affaires le 17 janvier 2023

Au jeu du roi de la montagne, les fabricants de vêtements d’hiver québécois seraient probablement les grands vainqueurs au sommet. Avec ses froids mordants et ses tempêtes historiques, la province a peu à accomplir afin de prouver son savoir-faire quand vient le temps de rester au chaud.

Des filons inexploités

Si, pour les Québécois, l’hiver est synonyme de pelletage et de trottoirs glacés, ces conditions sont plutôt preuve de confiance pour la clientèle internationale. Et une source d'inspiration pour les créateurs d'ici.

Mais même si la province a une longueur d’avance, il ne faut rien tenir pour acquis. L’innovation reste essentielle pour se démarquer. Et chez les jeunes entrepreneurs, les idées ne manquent pas. Par l’utilisation de ressources inédites et une fierté de la production locale, de petites entreprises d’ici s’approprient une niche profitable du marché textile.

L’asclépiade, par exemple, est l’ingrédient clé de toute la gamme de Lasclay. Des mitaines aux foulards, jusqu’à la glacière.

Cette plante indigène colonise les champs et terrains vagues partout en Amérique du Nord. Longtemps considérée comme une mauvaise herbe, l’asclépiade est toutefois naturellement isolante et hydrophobe, deux composantes essentielles pour braver les grands froids.

Lasclay veut allier «l’industriel à l’artisanal» afin d’être une entreprise d’innovation manufacturière. Une mission unique qui prend vie dans le petit atelier de l’entreprise, à Limoilou. (Archives Le Soleil)

Lasclay transforme elle-même l’asclépiade reçue par deux cultivateurs de Thetford Mines et du Bas-Saint-Laurent. La fibre est ensuite insérée dans les doublures de ses mitaines et d’autres accessoires d’hiver directement dans son atelier de Limoilou.

Après une année en sous-traitance, le fondateur, Gabriel Gouveia, a rapatrié la production sous un même toit. «On s’est aussi positionné comme le seul intermédiaire entre le cultivateur et le client final. On transforme l’asclépiade nous-mêmes, on la met dans des produits finis directement et on les commercialise nous-mêmes sur notre site.» Un site qui reçoit de plus en plus de visites de l’international, confirme-t-il.

 

Contrairement au coton, dont les procédés de transformation et de commercialisation sont aussi vieux que le monde, l’asclépiade est encore marginale. Et comme elle est plus rare, elle peut parfois coûter plus cher.

«Alors que, dans les faits, je ne considère aucunement que c’est un produit de luxe, tranche M. Gouveia. C’est une mauvaise herbe qui pousse en énorme quantité sur notre territoire, dans des champs. Le potentiel est énorme pour que ce soit une fibre démocratique qui ne coûte pas cher, si on réussit à développer un peu les technologies nécessaires à son exploitation.»

Mais qui dit isolant ne veut pas toujours dire hiver. L’industrie du vêtement d’hiver est concentrée sur quelques mois. Lorsque la température monte, les ventes fondent.

«Des publicités de mitaines en juillet, ça ne fonctionne pas», rigole Gabriel Gouveia.

Malgré un chiffre d’affaires s’approchant des 700 000$ surtout grâce à une offre hivernale, Lasclay a depuis peu mis en vente des glacières et sacs isothermes, isolée à l’asclépiade.

«L’asclépiade est un isolant tout court, explique Gabriel Gouveia. On peut parfaitement faire des produits d’été pour rouler à l’année. La performance dans des glacières est exceptionnelle. Ça bat de loin le synthétique»

 

Idem pour Atypic Équipement, une jeune pousse de la Rive-Nord de Québec.

L’entreprise se spécialise dans les vêtements rembourrés à l’isolant végétal, comme l’asclépiade, le kapok et la fibre de maïs synthétisée, une recette trouvée par des chercheurs de Québec en collaboration avec la fabrique de textile Eko-Terre.

 

Asclépiade, fibre de maïs synthétisée et kapok — une fibre végétale originaire d’Indonésie — sont filés ensemble afin d’obtenir une recette «plus performante que le polyester, un peu moins que le duvet en chaleur, mais plus isolante lorsqu’elle est mouillée». (Le Soleil, Erick Labbé/Le Soleil, Erick Labbé)

Les deux fondateurs, Antoine Bolduc et Laurence Gaudy, ont appris sur le terrain que «le cycle des vêtements, il faut le respecter». Un défi de taille pour les grandes entreprises, mais surtout pour les plus petites, qui cherchent à s’intégrer à un marché concurrentiel.

C’est l’une des raisons pour lesquelles Atypic se dirige peu à peu vers des vêtements quatre saisons.

Mais pour se donner les moyens de leurs ambitions, Laurence Gaudy et Antoine Bolduc doivent migrer vers une production en sous-traitance de Beauce et de Montréal.

«On a réalisé que la production n’est pas rentable en termes de main-d’oeuvre. Ça prend une rigueur et on mettait tout notre temps sur la production. Ça faisait en sorte que nous n’avions plus le temps pour continuer le reste. Parce que veux, veux pas, c’est dur de trouver des couturières.»

Laurence Gaudy et Antoine Bolduc, les têtes créatrices derrière la marque Atypic Équipement. Après une première année à apprendre les aléas de la production de vêtements hivernaux, le duo s’apprête à entrer dans les magasins Sport Radical. (Le Soleil, Erick Labbé/Le Soleil, Erick Labbé)

Au Québec, les professionnels de la couture sont aussi difficiles à trouver qu’une aiguille dans une botte de foin. Un réel fléau dans l’industrie, qui amène plusieurs entreprises à se tourner vers l’Asie.

Avalanche habille près de 450 montagnes partout dans le monde. Des opérateurs aux employés, en passant par les guides, tous portent l’étiquette de la marque, cousue pour la première fois par Francine Poulin en 1986.

Designer de profession, la mère de famille a créé Avalanche pour répondre à un besoin particulier : fabriquer des uniformes pour les enfants des clubs de ski du Relais, de Stoneham et du Mont-Sainte-Anne.

Quelques années plus tard, l’entreprise a fait boule de neige.

«Autour des années 2000, c’était rendu quand même plus gros», explique Véronique Dufour, vice-présidente marketing, ventes au détail et développement de l’entreprise. «Mme Poulin avait plus de mal à gérer tout ça, alors elle s’est affiliée avec des actionnaires et Jean-François Caron, qui est maintenant le président.»

«L’hiver au Québec, c’est un gros plus. Pour les Européens, les Québécois sont reconnus pour la chaleur», souligne Véronique Dufour, vice-présidente marketing, ventes au détail et développement d'Avalanche. (Le Soleil, Patrice Laroche/Le Soleil, Patrice Laroche)

D’un atelier installé au sous-sol, la marque a migré vers les magasins. Désormais, près de la moitié du chiffre d’affaires provient du Québec, l’autre moitié de l’Europe.

Francine Poulin n’est maintenant plus derrière les designs de l’entreprise. Tout comme Yves Trudeau, avec Quartz Nature.

Maintenant connue sous le nom de Quartz Co., l’entreprise, qui célèbre son 25e anniversaire, a été reprise par Jean-Philippe, François-Xavier et Guillaume Robert en 2015.

Les trois frères et ingénieurs de formation ont développé le goût de l’entrepreneuriat à travers plusieurs projets proches de l’industrie textile. Et lorsqu’Yves Trudeau a échangé Quartz Naturel pour la retraite, ils n’ont pas hésité.

«Ça nous semblait être une super opportunité de reprendre une compagnie qui avait un super savoir-faire, dans une industrie pour laquelle le Canada et le Québec sont reconnus, donc avec un potentiel d’exportation assez fort», souligne Jean-Philippe Robert, président de Quartz Co.

 

Jean-Philippe Robert, président de Quartz Co.

Depuis, l’entreprise connaît une croissance de 30% annuellement et vend ses manteaux, conceptualisés à Montréal, dans une dizaine de pays.

Les chiffres parlent. Le Québec est un joueur unique — et naturel — dans l’industrie du vêtement d’hiver. Ce constat résonne chez tous les fabricants rencontrés par Le Soleil : mitaines, tuques, bottes, manteaux, foulards, cache-cou ou couvertures, ajoutez l’étiquette made in Québec et les marchés s’ouvrent à vous.

«Le Québec a une légitimité technique qui est naturelle du fait de venir d’un environnement aussi froid, note Jean-Philippe Robert.

Fabriqué au Québec

Cette année, Quartz Co. a fait affaire pour la première fois avec une usine certifiée située en Asie afin de confectionner ses manteaux légers, qui représentent 20% de son inventaire. L’entreprise maintient le reste de sa production au Canada et au Québec.

«C’est très difficile pour nous de rivaliser en termes de prix. Il y a une compétition plus forte dans les manteaux 0°C et -5°C. Alors, nous avons pris la décision de travailler avec un partenaire asiatique sur ce type de manteau. À un moment, il faut être réaliste avec nos possibilités», souffle le président.

Il explique également que les prix ne sont pas le seul obstacle. Se procurer des matériaux au Québec n’est pas toujours facile.

«Les moulins qui tissent le tissu technique se trouvent beaucoup en Asie. C’est une expertise que nous avons de moins en moins au Québec, et pour ceux qui existent, ils sont moins adaptés à l’usage que nous recherchons.»

Tous ces propos résonnent chez Avalanche. «Il n’y a pas de jeu au Québec avec le manque de main-d’oeuvre, tranche Véronique Dufour. C’est une question de prix et de volume, mais aussi de machinerie et de robotisation. En Asie, eux aussi ont une pénurie de main-d’oeuvre, mais ils se sont adaptés avec la robotisation.»

 


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