Extrait de la chronique de Valérie Simard, parue dans La Presse le 17 septembre 2021
En vedette : Lasclay, des moufles isolées à l’asclépiade
Chaque année au mois de septembre, dans le cadre d'une prévente automnale, les mitaines et autres accessoires isolés à l’asclépiade de Lasclay s'envolent en quelques heures. La jeune entreprise de Québec accroit constamment sa capacité de production grâce à la robotisation de ses procédés de fabrication et l'automatisation de ses processus de vente en ligne et de marketing. Elle poursuit ses recherches pour démocratiser cette fibre indigène cultivée au Québec et remplie de promesses, mais qui pose aussi des défis.
Déterminés à populariser l’usage de la « soie d’Amérique » comme isolant naturel dans les vêtements hivernaux, Gabriel Gouveia, un entrepreneur de Québec, a démarré Lasclay à l’automne 2020 et compte bien réussir là où d’autres se sont cassé le nez. « On pensait en vendre 100 paires, et on en a vendu environ 1125 », raconte le fondateur, qui a étudié en design de produits à l’Université Laval.
La demande des consommateurs pour un produit végane, local et plus écoresponsable est là. « L’asclépiade est au cœur d’un écosystème biologique, dont le papillon monarque est le plus fidèle représentant, mais aussi beaucoup d’autres pollinisateurs, explique Gabriel Gouveia. Les fibres sont produites par les fruits en fin de saison, au moment où les monarques ont déjà commencé à migrer vers le sud, alors d’un point de vue environnemental, c’est une plante qui est cultivable avec peu d’intervention humaine, comparativement à d’autres cultures, et qui peut être récoltée sans enlever de ressources à la nature. »
Or, l’extraction de la fibre et son séchage posent un défi. Au cours des dernières années, des entreprises ont échoué à obtenir des rendements suffisants pour que ce soit viable, ce qui a entraîné des difficultés d’approvisionnement pour des fabricants, comme Quartz Co, qui a dû laisser tomber l’utilisation de l’asclépiade dans ses manteaux. La donne pourrait toutefois changer puisqu’une nouvelle entreprise installée à Cowansville, Eko-Terre, a développé un nouveau procédé lui permettant de créer une membrane isolante à base de PLA (un plastique obtenu à partir d’amidon de maïs), de kapok (issu d’un arbre tropical) et d’asclépiade.
Mais pour le fondateur de Lasclay, il était primordial de ne pas dépendre d'un transformateur fabricant de rouleaux isolants, ayant vu des entreprises comme Quartz co. perdre leur source d'approvisionnement plusieurs fois après les faillites des entreprises de transformation d'asclépiade. Ils ont plutôt choisi de partir de la soie brute achetée directement aux cultivateurs et de procéder à une transformation sur mesure, selon les besoins de chaque produit.
« Le problème avec les isolants d'asclépiade en rouleaux, c'est qu'il faut y diminuer fortement la proportion d'asclépiade à seulement 20%, au profit de fibres synthétiques ou d'origine étrangère. Les raisons de cela sont techniques, soit la tenue et la durabilité qui sont insuffisantes avec 100% d'asclépiade, ou économiques, soit le besoin d'amortir le coût élevé de la machinerie de fabrication des rouleaux. D'aussi faibles quantités ne permettent tout simplement pas de bien lancer l'industrie de l'asclépiade, en donnant leur juste part aux agriculteurs qui ont eu le courage de se lancer dans cette nouvelle culture. En tentant ainsi de diminuer les coûts, ça a l'effet inverse: plusieurs cultivateurs abandonnent la culture, la matière se raréfie, personne ne veut investir pour améliorer l'efficacité, et les prix explosent», fait valoir Gabriel Gouveia.
La décision d'utiliser des techniques de rembourrage plutôt que des rouleaux isolants a également une justification environnementale, dans le cas de l'asclépiade.
«Cela offre quatre bénéfices importants. Le premier est de pouvoir faire affaire directement avec les agriculteurs plutôt qu'avec une foule d'intermédiaires, ce qui fait diminuer les coûts et rend les produits d'asclépiade plus accessibles. Le deuxième est d'avoir une flexibilité et de pouvoir maximiser la proportion d'asclépiade individuellement pour chaque produit, jusqu'à 80% dans certains cas. Le troisième bénéfice est de ne gaspiller aucune asclépiade, contrairement aux rouleaux isolants qui peuvent occasionner des pertes de 25 à 30% quand on y coupe nos patrons. Finalement, nous avons compris qu'après des décennies de déclin des asclépiades et des pollinisateurs qui en dépendent, la culture à grande échelle de l'asclépiade était une solution d'avenir pour la préservation de la biodiversité. Notre procédé de fabrication nous permet d'acheter de plus grandes quantités à un meilleur prix pour les agriculteurs, ce qui contribue à rentabiliser la culture et assurer le maintien des champs d'asclépiade, des habitats précieux pour les papillons monarques. », continue le fondateur de Lasclay.
Cette décision de s'intégrer verticalement, soit de rapatrier toutes les étapes de production entre le cultivateur et le client est logique, mais est loin d'avoir été facile. À leurs débuts, chaque doublure de mitaine d'asclépiade de Lasclay était rembourrée à la main, puis matelassée avec un motif quadrillé pour créer des petites cellules où les fibres isolantes seraient immobilisées.
Cette technique chronophage a menacé la mission même de Lasclay qui est de démocratiser l’asclépiade en offrant des produits abordables et hautement isolants. L'usine chargée initialement de fabriquer les produits de l’entreprise a vu ses temps de production quadrupler en raison des complexités de l'asclépiade, à la première saison en 2020, en plus d'occasionner d'importants retards de production à ses deux premières années.
«Si nous n'avions rien changé, il aurait fallu vendre nos mitaines à 300$, ou tout simplement fermer l'entreprise. Nous avons plutôt choisi de nous retrousser les manches, de rapatrier la production et d'innover, en inventant plusieurs technologies novatrices et automatisées, spécialisées dans la transformation de la soie d'asclépiade ».
Le résultat parle de lui-même. En période de forte inflation, l'entreprise réussit à maintenir le prix de ses réputées mitaines, chaudes jusqu'à -30°C (-22 °F), à 99 $ depuis 3 ans, un prix assez abordable pour un produit aussi performant et fabriqué au Québec. Lasclay a aussi mis en vente, dans les dernières saisons, plusieurs nouveaux produits: un foulard isolé à l’asclépiade et une gamme de glacières et de boîtes à lunch, notamment.
À quand les manteaux ? « Rembourrer un manteau avec notre procédé, on en est plus près maintenant qu’on ne l’était à notre première année, assure Gabriel Gouveia. Mais on n’a pas encore mesuré si ce serait rentable. Probablement, mais ça reste à confirmer. C’est assurément notre objectif. »
